Auriez-vous pensé à ériger un SDF en routeur Wifi ? Cette idée me laissant perplexe, aux allures (spécieusement ?) caritatives, remontant à la fin octobre, a été relayée ce lundi par le site Numerama. Une association, baptisée Wifi4Life, basée à Prague, capitale de la République Tchèque, vient d’accoucher, non sans difficultés (flop initial cet été pour une levée gracieuse de fonds avec une bagatelle récoltée par rapport à la somme escomptée) de son projet, dont il convient de souligner d’emblée l’éthique équivoque : elle a tout simplement métamorphosé un SDF, s’étant porté volontaire pour devenir la première « borne humaine » (équipée d’un routeur Wifi). Technologiquement, tout est au point mais ce SDF, qui en est le cobaye ambulant (avec une tenue spéciale pour être facilement identifiable), n’a tout de même pas la puissance d’une « antenne relais » puisqu’il affiche une portée maximale de 20 mètres et 10 connexions simultanées de l’ordre de l’éventail de ses possibles pour des usagers potentiellement en quête d’une connexion haut-débit. Autre atout du clochard « dernière génération » (l’ironie à la Voltaire est présente tout au long de mon article) : il est équipé d’un chargeur, parmi les connectiques USB dont il est porteur, pour des utilisateurs de passage dont les batteries seraient sur le point de de tomber en rade. En gros, le SDF ne quitte pas vraiment la rue qui lui est si familière et devient un homme-objet, auprès duquel on se rapproche pour des motifs purement égoïstes, que l’on soit un touriste quelque peu égaré ou un familier arpentant les rues de Prague.
L’association, que je fustige à l’extrême, s’achète une bonne conscience en assurant que cette initiative est des plus louables et l’érige même en véritable opportunité d’insertion durable pour des SDF candidats (elle compte bien, avec l’aval presque acquis de la municipalité qui pourrait lui accorder une subvention, qu’ils soient les plus nombreux possibles pour tisser un réseau couvrant le territoire métropolitain de Prague à partir de 2016) et désireux de ne plus être invisibles aux yeux des passants (Est-ce une chance véritable qui leur est offerte ? Un abus supplémentaire de leur statut déjà précaire ?). Le débat est ouvert et les saillies verbales entre détracteurs et réfractaires envers ce projet qui aurait pu prêter à sourire au départ, de par son caractère insolite et que je croyais inédit (ce n’est pourtant pas une première avec une expérimentation à Austin, au Texas, en 2012, qui avait déjà étrenné le concept, mais sur un laps de temps volontairement très court, à savoir lors d’un salon de 9 jours, orienté sur le high-tech) et devient pour beaucoup synonyme d’exploitation. A noter dans ce sens la phrase maladroite du dirigeant de l’association Lubos Bolececk : « Nous avons choisi des SDF parce qu’ils sont déjà dans la rue et que la plupart du temps ils n’ont rien à faire. Et nous voulons qu’ils commencent à travailler. » Ce dédain est plus que déplacé de la part de Lubos Bolececk se revendiquant philanthrope, mais loin d’être désintéressé, pour l’honneur du titre honorifique.
«S’ils prouvent qu’ils peuvent respecter des horaires, se réveiller, rester sobres, et travailler 8 heures par jour, notre projet leur fournira la valeur d’une recommandation pour leur employeur potentiel», a déclaré le dirigeant de l’association, Lubos Bolececk, à la chaîne russe RT, voulant montrer patte blanche. Les SDF, souhaités les plus nombreux possibles seront et ce n’est pas un leurre (là ma méfiance cède la place à de la tempérance) les bénéficiaires d’une rétribution aux multiples facettes : de quoi se tenir debout (leur dignité l’étant également de ce fait) avec de la nourriture complète, des vêtements chauds, un toit (cela est l’atout le plus séduisant surtout pour ceux qui accepteront de se prêter au jeu à la veille de l’hiver ou pendant le long cours de cette morte saison) et une rétribution fixe quotidienne de 5 euros. La somme de 5 euros pour une journée de travail (c’est moins que notre SMIC horaire !) peut paraître outrageusement minime mais le coût de la vie dans l’un des pays « dits » de l’Est est encore bien moindre que chez nous. Et il n’y aura nul hold-up sur les pourboires quotidiens de ces SDF high-tech. La question est de savoir surtout quand, même professionnellement, ils sortiront de la rue et tourneront ainsi véritablement et je l’espère définitivement les pages noires du roman de leur vie, s’écrivant chaque jour, avec une encre indélébile (ma métaphore est un emprunt de mémoire au célèbre écrivain Milan Kundera d’origine tchèque mais expatrié à Paris).