Sixième jour du procès Lelandais : avouer l’inavouable…

Illustration / Pixabay

Lors de la première semaine de procès, d’une grande intensité, Nordhal Lelandais a maintenu sa version des faits, affirmant, pour la énième fois, ne pas avoir voulu donner la mort au jeune caporal lorsqu’il lui a porté les coups fatals lors d’une bagarre. Le procès reprend aujourd’hui, lundi 10 mai.


Le procès s’ouvre sur les expertises psychologiques et psychiatriques

L’experte psychologie dépose à la barre en expliquant qu’avec une collègue, elles ont rencontré à neuf reprises N.Lelandais. C’est seulement au bout du troisième entretien qu’il s’est détendu et a plus longuement abordé les faits, les reconnaissant d’abord pour Maëlys, puis se présentant en victime pour Arthur Noyer. Il se dit avoir été agressé. Selon l’experte : « Il s’exprime par évitement, digression, voulant toujours donner une bonne image de lui-même. Il a une bonne relation avec sa mère qui se présente comme un soutien indéfectible. Il dit qu’ils se font des câlins tous les deux. Son père apparaît plus en retrait, plus absent ». Par ailleurs, elle décrit une personne luttant en permanence contre des états de vulnérabilité très forts, de très sensible à la perte et à la séparation. Magalie Ravit parle de « modalités affectives clivées » chez Lelandais qui, pour enrayer les éléments de grande vulnérabilité a recours à des produits d’addiction. Nordhal Lelandais avoue à la psychiatre experte, avoir eu des attouchements avec deux de ses petites cousines.

L’experte note une attirance sexuelle « pour tout ce qui est nouveau et pour la découverte », comme pour ses relations homosexuelles, même si l’accusé dit ne pas avoir d’attirance pour les hommes. Lelandais est décrit par les expertes comme une personne dans le contrôle de soi permanent et dans une quête narcissique constante. Le vécu d’abandon est fort pour l’accusé qui a besoin de déployer encore plus de ressources psychiques pour éviter l’effondrement. De plus, le silence demeure autour du père de Lelandais, absent, effacé, auquel Lelandais a eu du mal à s’identifier. Son parcours dans l’armée au sein d’une brigade cynophile lui apportait un mode d’appartenance très fort et tout particulièrement mobilisant. Son départ de cette brigade a été vécu, pour Magalie Ravit, comme « une grosse blessure narcissique ». Cette institution lui offrait un cadre, il avait ses chiens, ce qui était rassurant à tout point de vue.

Ses amis ont décrit Lelandais comme quelqu’un de fêtard, drôle et sociable. Mais au-delà des apparences, selon la psychologue experte, l’accusé a besoin de vérifier qu’il est en vie en consommant à outrance des femmes, des hommes… Après l’affaire Maëlys, l’accusé s’effondre, comme si une prise de conscience lui faisait perdre pied et dit avoir des hallucinations.

Maître Boulloud, l’avocat de la famille Noyer, interroge les expertes à propos de la prise de cocaïne et d’alcool qui aurait pu provoquer chez Lelandais l’idée qu’Arthur Noyer l’avait agressé. Les expertes n’apportent aucunes affirmations.

L’avocat revient ensuite sur les différentes versions livrées par Lelandais à propos des différentes affaires dans lesquelles il est impliqué. La psychiatre experte répond : « Le mensonge, c’est son fonctionnement, estime Hélène Dubost. Il est dans la dissimulation. Il y a la face extérieure, le Nordahl Lelandais que l’on voit, et celui qu’il est en intérieur, qui n’est pas tout à fait en adéquation. Il peut manipuler, c’est son fonctionnement. Il joue ou se déjoue, il attend que les enquêteurs apportent les preuves. Il a beaucoup de mal à parler en son nom propre. C’est quelqu’un qui attend. Il y a peut-être une forme de jouissance. »

Maître Jakubowicz, l’avocat de Lelandais, interroge les expertes à propos de leurs conclusions en demandant si, selon, elles, Lelandais était le monstre sordide que l’on voulait bien laisser entendre. Toutes deux avancent des propos neutres et sans réelle réponse.

On avance en eaux troubles

L’audience reprend avec l’intervention de François Danet, psychiatre expert, pour présenter un rapport émis par un collège d’experts. F.Danet revient sur le parcours scolaire de Lelandais, assez chaotique, puis il, relate les faits sur l’affaire Maëlys, mais Alain Jakubowicz conteste en précisant que ce deuxième rapport ne figure pas dans le dossier d’instruction sur le meurtre d’Arthur Noyer. Le président demande à François Danet d’écourter ce passage. Le psychiatre évoque la dimension perverse de l’accusé, ainsi qu’un clivage avec une dimension manipulatrice qui peut prendre le plus.

L’expert n’a pas décelé de pathologie mentale chez Nordahl Lelandais mais une « dangerosité criminologique« , en somme, une personnalité particulièrement complexe. Concernant le meurtre d’Arthur Noyer, le docteur Danet évoque un acte colérique ou sadique, ce à quoi s’ajoute, en 2016, une période noire dans laquelle Lelandais est rentré, l’encourageant à chercher des sensations fortes que la consommation d’alcool et de stupéfiants n’a fait qu’augmenter. Son côté manipulateur ne consiste pas seulement à tout contrôler, mais aussi à ne pas perdre la face. Cependant, cette consommation de stupéfiants ne suffit pas à altérer le discernement, sauf si l’on est psychotique et Lelandais n’est pas un sujet délirant.

Pour l’avocat de la famille Noyer, maître Boulloud, affirme ne pas croire du tout au caractère fragile de Nordhal Lelandais. Selon lui, ce dernier a manipulé les experts.

Selon Patrick Blachère, expert psychiatre, représentant un second collège d’experts ayant rencontré Nordahl Lelandais, ce dernier est doué d’une intelligence normale, et d’un point de vue pathologique, la dépression, chez lui, n’est pas évidente du tout. Il a surtout eu d’importants problèmes d’adaptation et de discipline. Il a quitté l’armée parce qu’il avait été réformée P4. Il ne s’entendait qu’avec les chiens. Toujours selon le docteur Blachère, Lelandais n’a pas de tendance schizophrène. Sa personnalité présente des troubles mixtes : « narcissisme, caractère border line et tendance psychopathique ».

Pour l’expert, Lelandais à une propension à mentir et à être dans la mythomanie pour raconter sa vie. Lorsque l’accusé pleure devant l’expert c’est une forme d’empathie liée à sa famille et sa peur de l’abandon. Ce n’est pas la même empathie lorsqu’il pleure à propos de l’affaire Maëlys. Le docteur Blachet note que Lelandais a une relation utilitaire aux autres, dénuée d’affect, sauf pour sa mère et sa sœur. L’accusé ne présente pas de troubles psychiques pouvant altérer sa responsabilité. Il vit mal la rupture avec ses partenaires ce qui entraine un comportement border line. Le docteur Blachet note tout de même que d’un point de vue statistique, Lelandais présente un cas de récidive très prononcé et qu’il lui faut un suivi psychiatrique. Le défaut d’empathie de l’accusé l’encourage à nier tant qu’il n’est pas acculé à des faits concrets, ceci étant lié à son manque d’empathie en rapport aux faits qui lui sont reprochés.

La journée se termine sur des échanges très tendus entre l’avocat de Nordahl Lelandais et l’expert psychiatre : « Vous êtes péremptoires, vous savez tout. Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer tout ce que vous dites ? ». L’avocat adopte une stratégie consistant à remettre en question tout ce le docteur Blachet a avancé à propos de Lelandais.

Demain, dernière journée du procès Lelandais dont le verdict devrait être prononcé autour du 12 mai.

Par Bruno Deslot

La Rédaction: