À partir du 1er juillet 2021, le congé paternité voit sa durée allongée à 28 jours, dont une semaine obligatoire. Cette réforme vise à permettre aux pères de s’investir davantage dans la parentalité et à lutter contre les inégalités femmes-hommes.
Annoncé par Emmanuel Macron en septembre 2020, l’allongement du congé paternité est prévu par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021. Cette mesure fait suite à la remise du rapport sur « Les 1 000 premiers jours de l’enfant », réalisé par la commission d’experts présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.
À la naissance d’un enfant, le père ou le second parent pourra désormais bénéficier de 25 jours de congé paternité (contre 11 précédemment) indemnisés par la sécurité sociale. À cela s’ajoutent les 3 jours de naissance payés par l’employeur, ce qui porte la durée totale du congé à 28 jours (35 jours en cas de naissance multiple). Ce congé s’applique pour les enfants nés à partir du 1er juillet ou nés avant mais dont la naissance était supposée intervenir à compter de cette date.
Un levier d’égalité hommes-femmes
Le congé paternité a peu évolué depuis sa mise en place en 2002. Si près de sept pères sur dix prennent ce congé à la naissance de leur enfant, de fortes disparités subsistent, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2018. En effet, le taux de recours est bien plus élevé chez les pères qui occupent un emploi stable : il est de 80% pour les salariés en CDI et de 88% pour les fonctionnaires, contre 48% pour les salariés en CDD et 13% pour les demandeurs d’emploi.
Les pères ne demandent pas leur congé paternité le plus souvent pour des raisons professionnelles. C’est pourquoi une partie du congé paternité devient obligatoire à compter du 1er juillet 2021 : quatre jours consécutifs devront être posés immédiatement après le congé de naissance de trois jours. Les 21 jours restants ne sont pas obligatoires et pourront être pris de manière fractionnée dans les six mois qui suivent la naissance.
L’objectif de cette réforme est de permettre aux parents d’investir des rôles complémentaires auprès de leur enfant et de lutter ainsi contre les inégalités hommes-femmes : en impliquant davantage les pères dans la prise en charge des enfants et les tâches domestiques et en réduisant les effets de l’arrivée d’un enfant sur la carrière professionnelle des femmes (interruption ou réduction d’activité…).
Pour la sociologue Christine Castelain-Meunier, instigatrice du congé paternité en France en 2002, « on pense encore trop souvent que tout ce qui relève de l’enfant relève de la femme. Il y a une difficulté à reconnaître que le père peut être plus qu’une pièce rapportée dans le milieu de la naissance, et être réellement partie prenante », avance-t-elle au Monde. Comment espérer que les pères amènent plus souvent leurs enfants chez le pédiatre si les écoles continuent de contacter la mère en priorité quand l’enfant est malade ? « L’allongement du congé paternité contribue à casser ces représentations traditionnelles. Cela confirme la diffusion de cette nouvelle norme de la paternité impliquée », poursuit cette dernière, qui voit l’avènement d’une génération de pères plus engagés.
Un soutien moral précieux auprès de la mère
Le doublement de ce congé doit permettre de renforcer les liens entre le père et l’enfant. Il pourrait aussi réduire les dépressions post-partum pour les mères qui bénéficieront de plus de soutien à la maison.
« De fait, d’être tout de suite dans l’aventure, je pense que c’est important », estime un jeune père auprès de France Info. Selon lui, être présent dans les jours qui suivent la naissance est un moment crucial, pas seulement pour l’enfant. « Quand on rentre à la maison, avoir un vrai soutien, je pense que ça fait du bien », juge la mère. « C’est un bol d’air pour la maman », renchérit son compagnon.
Alors que les femmes sortent de plus en plus tôt de la maternité, environ trois jours après la naissance environ, la présence du père à la maison pourra atténuer le baby blues, estime Alexandra Benachi, chef du service gynécologie obstétrique. « Quinze pour cent des femmes sont touchées par la dépression du post-partum et ça va être extrêmement intéressant de voir quel va être le retentissement de la présence du père ». « Je pense que ça va énormément aider », avance la professeure.
Certaines entreprises n’ont pas attendu cet allongement pour offrir un congé plus conséquent à leurs salariés
De nombreuses entreprises françaises n’ont pas attendu cette avancée gouvernementale pour proposer à leurs salariés un congé plus conséquent. Plusieurs d’entre elles ont décrit à France Info les avantages d’un congé parentalité plus long accordé au second parent.
Charles, 36 ans, chef de projet finances chez L’Oréal et papa de deux enfants de 5 et 2 ans a pu mieux accueillir son troisième bébé, en mars 2021 : « Contrairement à mes deux premiers congés de 11 jours, là, j’ai pu en profiter longuement, et ce, dès l’accouchement. J’ai passé plus de temps seul avec ma fille », souligne-t-il. « Ce congé nous valorise dans notre rôle de père et cela montre qu’en termes d’égalité femmes-hommes, la femme n’est pas toute seule à prendre un congé » poursuit-il. Pour l’instant, Charles n’a posé que trois semaines sur les six accordées. Il a jusqu’aux 3 ans de sa fille pour prendre ce qu’il lui reste. « Peut-être au moment où elle entrera à l’école », anticipe-t-il.
Depuis le 1er mars 2019, les 14 000 salariés de L’Oréal France peuvent bénéficier d’un congé parentalité de six semaines, fractionnables en deux fois et sans perte de salaire. En effet, depuis 2008 le groupe maintient 100% de la rémunération du collaborateur concerné, précise Emmanuelle Lièvremont, directrice de la santé et de la qualité de vie au travail chez L’Oréal France. Chez L’Oréal, le maintien total du salaire a permis à 281 pères, dont 72% de cadres, de bénéficier de leurs six semaines de congés parentalité en 2020.
Chez Aviva, le congé parentalité ou « co-parent » s’élève à 10 semaines. En plus des quatre semaines de congés légaux, le parent travaillant dans ce groupe d’assurance bénéficie de six semaines supplémentaires à prendre dans les six mois suivant l’arrivée de son enfant. « Il est possible de les prendre en plusieurs fois, au moment de la période d’adaptation en crèche par exemple ou lors du retour au travail de la maman », précise Sylvie Chartier-Gueudet, directrice de l’inclusion et du bien-être au travail de l’entreprise qui compte 2 900 salariés.
Depuis sa mise en place en novembre 2017, ce congé semble de plus en plus plébiscité : en 2020, 95% des salariés éligibles l’ont pris, contre 85% à ses débuts. « Nous avons voulu faire de ce congé une mesure d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes », assure la directrice de l’inclusion. « En allongeant le congé parentalité, nous envoyons le message qu’un homme ou une femme peut s’absenter pour s’occuper de son enfant sans que cela interfère sur sa carrière », conclut-elle.
La clé du succès réside dans la culture de l’entreprise, qui doit faire de la parentalité l’une des garanties de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. « Ce congé montre que la parentalité est prise en compte dans la gestion de carrière et ne doit pas être vécu comme un frein », insiste la directrice de l’inclusion.
Un projet de loi au cœur des promesses du gouvernement
« 14 jours, c’est trop court pour avoir le temps de nouer ce lien d’attachement et pour, du coup, favoriser le meilleur bien-être et le meilleur développement possible pour les enfants » pointait en septembre 2020 Emmanuel Macron, auprès du Figaro, qui avait fait de la réforme du congé paternité une promesse de campagne.
Au niveau national, le taux de recours du congé paternité demeurait jusqu’à présent en deçà des attentes. En 2016, il ne s’élevait qu’à 67%, soit 400 000 salariés, relève le Sénat. En imposant de prendre les sept premiers jours, le gouvernement espère améliorer ce taux, car jusqu’à présent « le congé paternité était plutôt pris par les cadres supérieurs, dans les grands groupes », relève Emmanuel Macron dans une interview au magazine Elle. « Là, on dit qu’il y a une partie qui est obligatoire pour protéger les gens dans des structures plus petites où, pour des raisons culturelles, ce congé a du mal à être accepté », analyse le chef de l’Etat.
Avec l’ancien congé paternité, moins de la moitié des pères en situation précaire, notamment en CDD, prenait ce congé. Désormais, l’employeur ne pourra pas s’y opposer, explique Adrien Taquet, secrétaire d’État à l’Enfance et la Famille. « On pouvait être inquiet par rapport à sa situation professionnelle, le regard qu’on allait peut-être porter sur vous dans l’entreprise si vous preniez ce congé. C’est contre ça aussi qu’il faut lutter », lance-t-il. Si l’employeur s’y oppose, il s’expose à une amende de 1 500 euros et de 3 000 euros en cas de récidive.
Pour certains, ces 28 jours restent toutefois « dérisoires ». « C’est probablement mieux pour tisser un lien avec le bébé mais pas pour revoir la place de chacun au sein du foyer », estime Marie-Nadine Prager, du Collectif PAF (pour une Parentalité féministe), plaidant désormais pour un congé parental sur le modèle scandinave, bien rémunéré et réparti entre les parents.
Un rattrapage par rapport à l’Europe
Cet allongement du congé paternité s’inscrit dans une démarche européenne. En juin 2019, une directive visant à instaurer l’égalité hommes-femmes dans le milieu professionnel a été votée au Parlement européen. Elle fixe le congé paternité à 10 jours minimum à l’échelle de l’Union européenne. Les États membres doivent se conformer à cette directive au plus tard le 2 août 2022.
La grande majorité des pays européens propose un congé paternité d’une durée de deux semaines ou moins. En adoptant un congé de paternité de quatre semaines, la France fait partie des pays le plus avancés dans ce domaine avec en tête l’Espagne et la Finlande.
Certains pays ne font pas de distinction entre congé paternité et congé parental. En Suède, les deux parents peuvent se répartir un congé parental de 480 jours, avec un minimum de 60 jours réservés au père. En Allemagne, le congé parental est d’une durée maximale de douze mois pour un seul parent et de deux mois supplémentaires si les deux parents choisissent d’en profiter.
Par Emma Forton