« الرُّواة » — comprenez « Tellers » — est un collectif de bloggeurs palestiniens qui proposent la série « Hawatiya », qui nous fait voyager le temps du ramadan du côté de Gaza, entre culture, histoire et récits du quotidien.
Pouvez-vous vous présenter ?
Bisan Oudah, 24 ans, est une militante palestinienne basée à Gaza, spécialiste des médias. Elle est notamment à l’origine de campagnes médiatiques sur l’égalité des genres et sur la sensibilisation à la culture, et a organisé des ateliers de formation sur les plaidoyers, entre autres.
Abdallah Abusamra, 23 ans, est journaliste et écrivain, responsable de la communication et des relations publiques, militant des droits de l’homme. Abdallah a lancé des campagnes promouvant l’autonomisation des femmes et d’autres communautés vulnérables. Il agit en faveur de réformes dans les domaines de l’éducation, de la liberté d’expression et autres.
Dahman Abusultan, 23 ans, est un expert des médias numériques. Il a acquis une vaste expérience en tant que producteur multimédia indépendant. Il est aussi activiste bénévole, graphiste et producteur de reportages pour « Tellers » depuis maintenant deux ans.
En 2018, Bisan Oudah a fondé la plateforme « Teller ». Au fil du temps, d’autres militants, qui partageaient les mêmes valeurs qu’elle, ont commencé à s’y intéresser et ont rejoint « Tellers » en tant que bénévoles.
Bisan, quels ont été vos objectifs en créant « Tellers » ?
J’ai fondé « Tellers » pour pouvoir raconter des histoires et aider les autres à raconter les leurs. J’ai acheté, avec mes propres fonds, un appareil photo, un trépied et des micros. Je suis très occupée, mais j’adore m’arrêter de travailler pour avoir militer par le biais de « Tellers ».
« Tellers », c’est un appel à l’action, à dire ce que l’on pense. « Tellers » n’a pas un but purement journalistique, c’est plutôt un blog qui promeut l’énergie et l’activisme social de la jeunesse gazaouie.
« ‘Tellers’ refuse que les médias internationaux présentent toujours les Palestiniens comme des victimes »
Votre objectif est de montrer que les gens ordinaires peuvent être des héros. Est-ce une manière de donner un angle plus « positif » à une actualité généralement anxiogène ?
C’est parce que ce sont des héros. Mettre la lumière sur eux et donner des aperçus quotidiens de la vie des gens ordinaires ne vise absolument pas à mettre le voile sur ce qui se passe à Gaza. En fin de compte, la vie à Gaza n’est pas synonyme de soleil et d’arcs-en-ciel. C’est un fait.
Mais ce n’est pas pour ça que nous ne pouvons pas avoir un peu de soleil et d’arcs-en-ciel. Nous sommes tous des victimes, mais on ne doit pas nous réduire à cela. Nous pleurons, nous rions, nous aimons, nous chantons, nous écrivons, nous créons et rêvons, et cela doit aussi être diffusé.
Les gens de « Tellers » refusent le statu quo des médias internationaux qui présentent presque toujours les Palestiniens comme des victimes. On veut plus. Nous avons donc décidé mettre de la lumière aléatoirement sur la vie des gens ordinaires et de leur demander de nous dire tout ce qu’ils veulent bien nous dire. Ce pourrait être la plus petite chose la plus simple sur terre, mais nous voulons la diffuser.
Parce que les Gazaouis aussi ont tellement de choses en tête qu’ils sont ravis de partager, et cela ne doit pas toujours concerner la situation politique. La vie des gens ordinaires à Gaza est généralement sous-estimée dans les médias.
Nous sommes habitués à voir Gaza sous un angle occidental ou à travers des reportages, mais la réalité et la vie quotidienne sont-elles loin de cela ? Parlez-nous de votre série « Hawatiya », dans laquelle vous parlez de la Palestine et des Palestiniens…
Je ne pourrais pas dire exactement si la réalité est différente ou non. La réalité est qu’un État colonisateur existe et qu’il travaille depuis des décennies pour ôter aux Palestiniens leur nom, leur histoire, leur culture et leur caractère. Il a infligé toutes sortes de dommages physiques et psychologiques aux Palestiniens, mais cela ne signifie pas que c’est la seule réalité que nous ayons en tant que Palestiniens. « Hakawatia » renforce le fait qu’il y ait bien plus dans la réalité que les forces israéliennes qui tuent et emprisonnent des Palestiniens depuis aussi longtemps que nous nous en souvenons. « Hakwatia » documente des tournants dans l’histoire de la Palestine, comme l’aéroport international de Gaza qui a été créé après les accords d’Oslo. La série raconte également des histoires culturelles de tant d’endroits que les jeunes générations, en général, ne connaissent pas bien.
« Nous voulons juste donner de l’espace aux citoyens pour faire entendre leur voix, en tant qu’êtres humains »
« Hawatiya », ce sont avant tout des « histoires ». Qu’est-ce que cela dit sur la situation réelle sur place ? Et comment intégrer ces petites histoires dans la grande histoire ? Dialectes, voyages, travail… Vous abordez la Palestine sous un angle que nous n’avons pas l’habitude de voir à l’international… Pourquoi est-ce important ?
C’est une série qui, à chaque Ramadan, offre un type différent de reportages sur la Palestine, à un public palestinien et arabe, un média amusant, informatif et tout aussi important. Il met en lumière des lieux historiques de Gaza, qu’aucun autre média ne semble couvrir. C’est important, parce qu’on ne se contente pas de découvrir l’histoire et la culture du pays. Les jeunes générations ont dû entendre parler du train ferroviaire de Gaza, par exemple, mais certains d’entre eux n’ont pas pris le temps d’en savoir plus. « Hakawatia », avec tant de détails et de créativité, met en lumière plusieurs spécificités de la Palestine.
Aucun média ne relate la vie des gens ordinaires, de manière aussi artistique, indépendamment de ce qu’ils veulent dire. Nous n’avons absolument pas d’agenda politique. Nous voulons juste donner de l’espace aux citoyens pour faire entendre leur voix, en tant qu’êtres humains, Palestiniens, en tant que pères et mères, sœurs et frères, et propriétaires de chats ou de chiens.
Vous accordez beaucoup d’importance à la jeunesse. Pourquoi ce choix ? Les Palestiniens ont-ils aussi besoin d’être informés de leur passé et de la situation réelle là-bas ? Et vous, avez-vous découvert des choses sur votre propre histoire ?
Parce que nous croyons en la capacité, la volonté et le talent des jeunes Palestiniens à avoir un impact et des contributions significatives quant à leurs communautés. Nous avons du talent et de la volonté, assez en tout cas pour travailler à la réalisation d’objectifs communs.
Oui définitivement, ce n’est pas parce que c’est une dure réalité que nous devons l’ignorer. En fait, enseigner aux jeunes générations notre/leur passé renforce non seulement leur appartenance et leur sens de la communauté, mais c’est aussi fondamental pour eux de commencer à travailler pour un meilleur présent, une meilleure réalité et pour façonner l’avenir qu’ils souhaitent avoir.
Bien sûr, après avoir parcouru tant de lieux historiques en Palestine, j’en suis venue à être beaucoup plus consciente de tant de choses que je ne savais pas sur notre pays. J’ai appris à connaître le port maritime de Gaza, par exemple. J’ai appris que la bande de Gaza était une ville palestinienne très prospère et importante dans le temps. Cela nous a donné à tous l’espoir d’un avenir meilleur.
Vous souhaitez laisser une trace ?
Nous voulons dire au monde qu’à cette époque, les jeunes militants palestiniens existaient. Ils ont refusé le statu quo, et ils savaient qu’ils pouvaient inspirer la positivité et l’optimisme aux autres Palestiniens. Ils ont aussi travaillé dur pour mettre en valeur les capacités historiques, culturelles et artistiques de leur pays. Ils croyaient au talent et à la créativité pour faire entendre la voix des compatriotes palestiniens, en tant que moyens de changement social et d’impact.