En France, depuis le 22 juin 2020, en pleine pandémie de coronavirus, incluant une période de confinement stricte dans le monde, l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) a pris la succession de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL).
L’ANJ, par le truchement de sa Présidente, Isabelle Falque-Pierrotin (Conseillère d’État), s’est fixée un objectif clair de « régulation socialement responsable » des jeux d’argent et de hasard, avec la mission de « repenser la réglementation ».
L’année suivante, Le rapport du Médiateur des jeux d’argent 2021 avait relevé 1420 plaintes, dont celles concernant : la confiscation des gains, des limitations des mises justifiées par des suspicions de blanchiment, l’utilisation de logiciels robots ou de trading, un comportement excédant les limites d’un jeu raisonnable.
L’État, responsable ultime d’un jeu dont il tire recette
L’État est en posture assez ambiguë, par rapport aux jeux, comme en ce qui concerne les vins et alcools, tabac, chasse, etc., puisqu’il s’agit de réguler et parfois sanctionner, ce qui relève du maintien d’un bon niveau de jeu « récréatif ». Or, c’est une source non négligeable de revenus significatifs, par les taxes et impôts qu’il prélève pour les réinjecter dans l’économie globale du pays, et, « last but not least », il doit un niveau de protection aux consommateurs, parmi eux les plus jeunes et les plus vulnérables.
Joueurs « problématiques » : à qui la faute ?
On le perçoit dans le ton incisif et volontariste de l’ANJ, visant à mobiliser les opérateurs, en leur demandant de soumettre des « plans d’action », durant la crise sanitaire de la Covid-19 et son exigence de surveillance renforcée des joueurs excessifs, grâce à des outils déjà en place.
Le mode le plus « responsable » tient au dispositif français d’auto-exclusion, ou LVA (9 avril 2021) : il donne la possibilité d’une limitation volontaire d’accès (LVA), que le joueur déclenche lui-même. On suppose une quasi-totale transparence de son propre comportement aux yeux du parieur lui-même. Vision idéaliste ou chimère ?
L’exposition au risque dépend de l’attraction du jeu
Le recours à une information soutenue sur les risques liés au jeu est toujours utile à rappeler, mais l’inscription dans un comportement de mise en danger est en lien avec bien d’autres facteurs (âge, classe sociale, besoin ou avidité du gain, immaturité…) et surtout l’incitation par des stratégies promotionnelles outrancières.
Une sursaturation de messages publicitaires incitatifs
Ainsi l’ANJ est-elle très sourcilleuse quant aux :
- interdictions faites aux mineurs
- distances strictes entre espaces de courses (hippiques, par exemple) et espace des activités familiales
- l’entretien des systèmes de surveillance, visant à identifier et soutenir les joueurs problématiques et la détection de modalités de jeu « borderline ».
En ce sens, l’ANJ a entrepris un examen approfondi des plans marketing de tous les opérateurs. Elle a ainsi constaté, en 2021, une « sursaturation » par le volume de publicités « banalisant » le jeu.
Le conseil vise à limiter à 3 le nombre d’annonces liées aux jeux d’argent par créneau publicitaire.
Les revenus du jeu font gonfler les budgets promotionnels
Un des opérateurs particulièrement stigmatisé concerne Winamax, à cause de son ciblage excessif de publics fragiles comme les adolescents et jeunes adultes. Le régulateur national note que les sociétés de paris en ligne ont augmenté de 7% leur part budgétaire en 2021, en prévision de la FIFA 2022. C’était déjà le cas avec l’Euro 2020, par un ciblage et un usage disproportionnés des réseaux sociaux s’adressant prioritairement aux jeunes. Les marketeurs se focalisent sur ce type de public, par définition sujet aux excès.
Le monopole du jeu (FDJ, PMU) ne rend ni mesuré ni raisonnable
Parmi les cibles du modérateur national (ANJ), on rencontre deux sociétés monopolistiques inscrits dans le paysage : la Française des Jeux (FDJ) et le Pari-Mutuel-Urbain (PMU). Ces organismes mettent l’accent sur des « gains mirobolants » (FDJ) ou décrivent le PMU comme un « loisir familial » : c’est une réelle atteinte à toute autre activité privée désintéressée, cultivant le bonheur et le bien-être en famille, ou à la protection parentale vis-à-vis de l’exposition des enfants et des jeunes à l’opportunisme pavlovien…
Il en va de même avec les politiques incitatives des bonus (notamment dans le monde hippique ou des jeux en ligne).
La société civile, créatrice de lien social ?
À partir du 21 septembre 2021, l’ANJ a lancé une vaste consultation publique sur la perception de la publicité ayant trait aux jeux d’argent et sur les stratégies promotionnelles de ces opérateurs.
Par la mobilisation des acteurs et corps intermédiaires de la société civile, l’ANJ espère :
- démultiplier les filtres, les occasions et les acteurs impliqués dans la prévention,
- faire contrepoids à la puissance des organismes publicitaires,
- apporter des définitions claires
- et des directives précises et opérationnelles pour mettre un frein aux abus en tous genres.
Citoyen, synonyme de responsable ?
L’ANJ envisage deux ateliers de dialogue citoyen pour déterminer les paliers équitables d’acceptabilité de l’univers des jeux « raisonnables » dans notre quotidien.
Son rôle est donc d’assurer à termes une forme de savant équilibre entre les intérêts du joueur, des sociétés de jeu, des marketeurs et de l’État lui-même, qui doit demeurer le protecteur des personnes vulnérables, sans empêcher que le « peuple s’amuse » avec « du pain et des jeux » livrés par ces fournisseurs de divertissement omniprésents.