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PFAS : la France va-t-elle aller trop loin ?

L’Assemblée nationale s’apprête à interdire l’ensemble des PFAS, substances chimiques omniprésentes dans l’industrie. Derrière l’argument écologique avancé par les défenseurs du texte, cette interdiction unilatérale soulève des inquiétudes majeures pour des secteurs clés de l’économie française. Alors que l’Union européenne tente d’établir une régulation progressive et concertée, la France choisit une approche plus stricte qui pourrait profondément désavantager son industrie.


Les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont aujourd’hui au centre d’un affrontement réglementaire entre écologistes, institutions européennes et industriels. Utilisés pour leur résistance aux hautes températures, à l’eau et aux graisses, ces composés sont présents dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique, l’électronique, le médical et le textile technique. Cependant, leur persistance dans l’environnement et des soupçons de toxicité sur certains d’entre eux ont conduit plusieurs États à envisager leur interdiction totale.

L’Union européenne travaille depuis plusieurs années à une régulation ciblée, cherchant à restreindre les PFAS les plus nocifs tout en préservant leur utilisation dans les domaines où ils sont irremplaçables. La France, elle, prend une direction bien plus radicale en essayant d’instaurer une interdiction généralisée dès 2026, indépendamment des positions de ses partenaires européens. Une proposition de loi a ainsi été déposée dès 2023 par le député Nicolas Thierry et devrait être discutée dans l’Hémicycle le 20 février 2025.

Les PFAS : une famille de substances aux usages multiples

Les PFAS regroupent plusieurs milliers de composés chimiques distincts, aux propriétés extrêmement variées. Certains, comme le PFOA et le PFOS, ont été interdits dans de nombreux pays (dont l’Union européenne) en raison de leur toxicité avérée et de leur bioaccumulation. D’autres, comme les polymères fluorés utilisés dans les semi-conducteurs et l’aéronautique, ne présentent pas de danger démontré mais sont tout de même inclus dans l’interdiction française.

Ces substances sont utilisées dans des secteurs où aucune alternative techniquement et économiquement viable n’existe à court terme. Dans l’industrie textile, elles garantissent l’imperméabilité et la résistance aux taches des vêtements techniques et des équipements de protection. Dans l’aéronautique, elles sont essentielles pour les revêtements anti-corrosion et les joints à haute résistance thermique. L’industrie électronique en dépend également pour la fabrication des circuits imprimés et des semi-conducteurs, dont l’Union européenne cherche à relocaliser la production avec le Chips Act.

Le secteur médical, quant à lui, utilise des revêtements à base de PFAS pour les prothèses, les cathéters et les implants. Ces dispositifs nécessitent des matériaux biocompatibles et durables, que les substituts actuellement disponibles ne permettent pas d’atteindre avec le même niveau de sécurité.

L’interdiction française, en ne distinguant pas entre les PFAS réellement problématiques et ceux dont l’usage est essentiel, impose une disparition totale de ces substances, mettant ainsi en péril des pans entiers de l’économie.

Une décision aux conséquences économiques et industrielles massives

L’impact de cette interdiction s’annonce particulièrement sévère pour plusieurs filières industrielles françaises, qui représentent des centaines de milliers d’emplois et des milliards d’euros de chiffre d’affaires.

L’industrie textile, qui pèse 4,2 milliards d’euros en France, repose sur l’utilisation de membranes fluorées pour la fabrication de vêtements professionnels, sportifs et militaires. À l’heure actuelle, aucune solution alternative ne permet d’atteindre les mêmes performances en termes d’imperméabilité et de résistance aux taches. L’interdiction des PFAS risque donc de favoriser les importations de textiles asiatiques, où la réglementation est moins stricte et où ces substances resteront autorisées.

Dans l’industrie aéronautique, qui représente près de 300 000 emplois en France, les PFAS sont utilisés pour les joints d’étanchéité, les lubrifiants haute performance et les revêtements anti-corrosion. Airbus et Safran, deux poids lourds du secteur, alertent déjà sur les difficultés à remplacer ces matériaux critiques. Une interdiction non concertée risque donc de pénaliser les acteurs français face à leurs concurrents américains et chinois, qui bénéficieront encore de leur usage.

Le secteur des semi-conducteurs, déjà fragilisé par la dépendance aux importations asiatiques, se verrait encore plus affaibli par cette interdiction. La fabrication de puces électroniques implique l’utilisation de produits fluorés ultra-purs, impossibles à remplacer dans les procédés actuels. En interdisant ces substances, la France hypothèque ses chances de relocaliser la production de microprocesseurs, un enjeu pourtant identifié comme stratégique au niveau européen.

Dans le secteur médical, les fabricants d’implants et de dispositifs biomédicaux dénoncent l’absence d’alternatives fiables aux PFAS utilisés dans les revêtements de prothèses. L’interdiction risque de renchérir considérablement les coûts de production, poussant les industriels à se tourner vers des usines situées hors de l’Europe, à rebours des ambitions de souveraineté sanitaire affichées par la France.

Une politique française en contradiction avec la stratégie européenne

Alors que la Commission européenne travaille sur une interdiction progressive et sélective des PFAS, tenant compte des réalités industrielles, la France choisit une approche unilatérale et brutale.

Cette décision isole l’industrie française au sein de l’Union européenne et crée un déséquilibre concurrentiel au sein du marché unique. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, dont les économies sont également dépendantes des PFAS, n’envisagent pas d’appliquer une interdiction aussi radicale sans concertation préalable avec Bruxelles.

Cette situation pourrait favoriser les importations chinoises et américaines, les industries de ces pays continuant à utiliser des PFAS sans contrainte majeure. L’absence de coordination au niveau européen risque donc de fragiliser les entreprises françaises qui devront se conformer à des règles plus strictes que celles de leurs voisins et concurrents. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait également être saisie par des industriels dénonçant une violation du principe de libre circulation des biens au sein du marché intérieur. Une telle interdiction, en contradiction avec les futures décisions européennes, pourrait être annulée, créant un flou réglementaire dommageable pour les entreprises françaises.

Plutôt qu’une interdiction brutale, une approche progressive, en phase avec les réglementations européennes, aurait permis d’encadrer ces substances tout en préservant la compétitivité de l’industrie française. À l’heure où l’Union européenne tente de renforcer son autonomie industrielle et technologique, cette décision apparaît comme une erreur stratégique aux conséquences lourdes pour l’économie nationale.