3 jours à Quiberon semblera à certains long, ennuyeux, surtout pour ceux ne connaissant pas Romy Schneider et la campagne de dénigrement, pour ne pas dire de haine, dont elle fut la victime dans son propre pays. Elle avait quitté l’Allemagne par amour du cinéma français qui lui offrait des rôles répondant davantage à ses aspirations artistiques. Pourtant, et c’est ce qui justifie ce long article, ce qui nous a passionné, c’est le troublant jeu de miroir que le film propose à son insu. Et nous recommandons de le voir car il pose de bonnes questions.
Un Biopic à charge ?
[dropcap]L[/dropcap]es journaux allemands de l’époque accusaient Romy Schneider d’être une femme volage, responsable du suicide de son mari et elle en souffrait tellement que cela avait des conséquences dans ses relations avec son fils (d’après le film). Le récit se déroule quelques semaines après le divorce de Romy, après la pendaison d’Harry Meyen, avant le décès accidentel de l’adolescent, mort empalé, et juste avant son rôle le plus marquant dans La passante du sans souci. La mort rode et l’actrice est épuisée de la repousser.
Présentée dans le film comme une personnalité tourmentée et alcoolique, elle s’est donc accordé une pause en établissement thermal à Quiberon dont elle ne respecte pas les interdits, superbe scène où avec la gueule de bois l’actrice est félicitée pour sa sobriété…L’actrice Marie Baümer, dont la ressemblance physique avec Romy est fascinante, joue remarquablement bien, de même que l’ensemble de la distribution (mention spéciale à Charly Hübner, le possible sexfriend, dont le jeu tout en finesse contribue à créer une atmosphère ambigüe)
Romy est en compagnie d’une amie mais a accepté une interview vérité qui va grandement la perturber car elle s’y met totalement à nu. Réalisé en noir et blanc, tourné en allemand, les défenseurs de Romy trouveront sans doute que ce biopic n’est pas en sa faveur, proposant, loin du mythe, une vision pathétique et misérable de l’actrice. Pourtant la pertinence du film, se construit à son insu. De façon totalement fortuite il trouve un écho dans notre époque.
Une histoire qui se répète ?
3 jours à Quiberon est en effet sorti au moment où Asia Argento fabuleuse actrice italienne connue pour son combat contre le harcèlement sexuel, devait affronter un flot de haters sur les réseaux sociaux suite au suicide de son compagnon, le chef Anthony Bourdain.
Des photos publiées dans la presse la montrant en promenade à Rome avec un journaliste français, quelques jours avant le décès du chef : il n’en fallait pas plus pour que, de victime, elle ne soit considérée comme un bourreau. Pire, certains commentaires accusaient même l’actrice d’avoir brisé la carrière du producteur Weistein ! Un comble !
En son temps Romy Schneider avait subi un traitement médiatique haineux et similaire suite au suicide, par pendaison également, d’Harry Meyen, à l’âge de 54 ans, dont elle venait juste de divorcer. Pour les médias allemands tout était sa faute, ce qui explique qu’elle accorde cette interview fleuve à Quiberon, point de départ du film. Premier constat : depuis 1981, rien n’a changé, c’est toujours la faute des femmes si les hommes meurent.
Les images et les sentiments
Autre parallèle troublant du film : le photographe et Romy flirtent, au point qu’il dort dans son lit à sa demande. On apprend qu’ils ont déjà vécu ce genre de situation sans consommer l’acte sexuel, leur complicité se situant au-delà de la chair. C’est une ficelle du scénario, rien ne prouve que cela soit un fait biographique. Pourtant hélas, certains spectateurs le prendront pour acquis malgré les plans du film qui soulignent pourtant l’ambigüité de la situation. Même ambiguïté concernant les clichées de la balade romaine entre Asia et le journaliste. Ils semblent flirter sur des photos volées mais nous n’étions pas avec eux. Rappelons qu’on peut être très proche d’un homme sans en faire son amant. Cela a-t-il forcément un lien avec les évènements qui se sont enchaînés ensuite ? Non, pas forcément.
Pourtant c’est cette manie de relier une cause à un effet qui crée une distorsion émotionnelle à la fois dans le biopic et dans la vraie vie. Ainsi, on demande à Romy comme à Asia de justifier leurs actes. Dans le film, Romy se sent alors obligée de livrer une interview confession…Deuxième constat : de tout temps les personnalités publiques ont dû rendre des comptes sur des faits personnels et c’est d’une grande violence car imaginez qu’on demande cela à tout le monde…La réalisatrice filme à merveille la violence de l’interview, close up, plans où l’actrice est au sol, tordue, évanouie…un jeu théâtral qui souligne la tragédie de la médiatisation et la difficulté de livrer UNE vérité quand la réalité est plurielle.
Un film qui pose des questions
Enfin on remarquera également que Romy a 42 ans dans le film, le même âge qu’Asia Argento, qu’elles ont toutes deux un garçon et une fille, qu’elles communiquent et jouent toutes deux en langue étrangère et entretiennent des relations complexes avec leurs pays d’origine suite à leurs prises de position, que ce se sont des femmes belles, intelligentes, fortes…Bien sûr ces échos ne sont pas volontaires, le film a été tourné bien avant le drame subi par Asia Argento mais c’est ce qui donne sa force et sa pertinence au film : c’est un biopic à plusieurs lectures qui résonne.
Ce qui est questionné ici, plus qu’un moment de la vie de Romy Schneider, c’est pourquoi être une femme libre et profondément humaine reste suspect ? Et si au-delà du biopic ce film posait la question du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes et de leur image ?
A noter que la photographie est particulièrement belle.
A l’ère des réseaux sociaux, 3 jours à Quiberon est donc un film pas si long ni si ennuyeux que ça…allez le voir !
3 jours à Quiberon, 1h55, un film d’Emily Atef, en salles.